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  • Photo du rédacteurFrédérique Jeske

Gérer les ingérables et manager les talents…

Gérer les egos et les personnalités difficiles quand on est manager, c’est un challenge de tous les jours. Sans compter que certains collaborateurs « exigeants » peuvent se révéler être des talents dont l’entreprise a fondamentalement besoin !

Pour élargir nos points de vue, j’ai demandé à Christophe Chenut ses recettes personnelles pour « gérer les ingérables » et « reconnaître les talents et les faire grandir » : Christophe a été en effet dirigeant d’agence de communication, patron du Groupe l’Equipe, Président du Stade de Reims, administrateur du PSG football club, puis DG du groupe Lacoste, PDG d’Elite World, co-fondateur du journal l’Opinion…

Il a accepté de partager avec moi, en toute transparence et honnêteté, quelques leçons de management issues de ce parcours exceptionnel de dirigeant…


Christophe, vous avez un parcours professionnel, de dirigeant et d’entrepreneur, tout à fait exceptionnel… et vous êtes aujourd’hui investisseur et administrateur indépendant de plusieurs entreprises… Vous accompagnez désormais les entrepreneurs !

Comment passe-t-on de la communication au sport, des sports au luxe ?… Est-ce votre personnalité et votre curiosité qui vous ont poussé ? Votre tempérament entrepreneurial ?

En fait il y a de nombreux points communs dans ces différentes fonctions qui sont, dans l’ordre ou le désordre,:

– le fait que j’ai toujours exercé le même métier, celui de patron

– l’aspect managérial puisque je n’ai exercé ce rôle que dans des environnements de talents, de collaborateurs créatifs à forte valeur ajoutée, complexes à manager.

– l’aspect marketing qui consiste dans tous les cas à gérer des grandes marques historiques (Lacoste, L’Équipe, Elite et les clients de mon agence…)

– enfin mes deux passions que sont la communication et le sport qui sont un peu les fils rouges de ma carrière

Après il est évident que mon profil d’entrepreneur et ma curiosité m’ont amené à rencontrer des personnes ou à provoquer des situations qui m’ont permis d’avoir ce parcours que je qualifie volontiers « d’enfant gâté »


Vous avez dans vos expériences professionnelles développé une expertise utile à tout manager : gérer les personnalités « difficiles », les talents, les egos ! C’est vrai que manager des footballeurs, des mannequins, des créatifs… cela ne doit pas être simple tous les jours… 

Comment définissez-vous une personnalité difficile, voire « ingérable » ? Et comment distingue-t-on les « ingérables à valeur ajoutée », celles et ceux dont on a besoin ?

Des Ingérables, il y en a partout et à tous les niveaux hiérarchiques d’une entreprise. Et cela s’accentue avec les nouvelles générations, qui veulent être considérées et qui, notamment du fait des réseaux sociaux, sont devenues des egos très forts.

Avoir des Ingérables dans ses équipes, c’est maintenant la norme et cela ne doit pas forcément être vécu comme un problème.

Le sujet est effectivement de distinguer les Ingérables à valeur ajoutée, ceux qu’il faut bichonner, et les Ingérables sans réel talent, qui posent problème et dont il vaut mieux idéalement se séparer.

Pour moi il y a un mot clé qui est la remplaçabilité. Cette personne difficile à gérer ou à intégrer dans l’équipe est-elle facilement remplaçable? Son départ serait-il une perte pour l’entreprise et un gain pour le concurrent qui l’embaucherait?

Si les réponses sont « oui », il faudra alors adapter son management à cette personne et gérer également avec précaution le reste des équipes.


J’ai réfléchi, dans le cadre d’une intervention récente en table ronde, sur le sujet de l’ego et de la manière dont il est possible de « mettre son ego » au service d’une cause plus grande que soi

Comment, selon vous, le dirigeant, le manager, doit-il gérer son propre ego pour parvenir à gérer l’ego de ses collaborateurs ?! Comment, autrement dit et pour reprendre vos propos, « garder la tête à l’endroit quand la pyramide des pouvoirs est inversée » ?

Le vrai sujet est toujours de replacer son ego là où il doit se situer par rapport à la fonction que l’on occupe et ce sur quoi on est jugé au final.

Dans le cas du manager, du PDG, il sera jugé sur les chiffres de l’entreprise, sa croissance, sa profitabilité avant tout. Pas sur le fait qu’il ait plus d’articles dans la presse que ses collaborateurs talentueux.

Dans cet exemple, si en laissant l’existence médiatique à ses stars, il les motive et réussit en tant que dirigeant sur les critères managériaux et économiques, il en retirera une satisfaction egotique en même temps qu’une reconnaissance professionnelle de ses actionnaires, collaborateurs et de l’écosystème de son entreprise en général.

Et si pour cela il a dû composer avec ses talents et parfois avaler quelques couleuvres, personne ne le saura et tout le monde ne jugera que le résultat !


J’ai personnellement beaucoup apprécié votre approche, que vous qualifiez de « management à l’envers » ! Pouvez-vous nous partager votre vision en quelques mots ?

Dans les entreprises classiques, les process de management sont pyramidaux, hiérarchiques et descendants. Le haut de la pyramide a tous les pouvoirs et les outils pour l’exercer.

Le patron est le plus connu, le mieux payé, celui dont les décisions ont le plus d’impact pour l’entreprise. Il a en cascade tous les outils pour exercer ce pouvoir :

– Fiches de poste, entretiens annuels, grille de salaire, outils de contrôle…

– Des N-1 qui répercutent à chaque échelon, souvent avec zèle, tous ces process

– Des contrats de travail (CDI-CDD,…) qui permettent de maintenir la pression, et si nécessaire de licencier facilement.

Dans les entreprises de talents, la pyramide des pouvoirs s’inverse totalement, puisque ce sont en général les « salariés stars » qui ont la main et pas le patron.

Ce sont eux les plus connus, les mieux payés et ceux dont les actes ont plus d’impact sur le résultat de l’entreprise (La collection du créateur, le scoop du journaliste ou le but de l’avant-centre en sont les meilleurs exemples).

Pas question, là, de leur donner des fiches de poste, de leur faire passer un entretien avec un supérieur, de contester leurs notes de frais ou de valider leur temps de présence, au risque de les voir partir.

Quant à leur contrat, il est en général différent des contrats de salariés classiques (contrat à temps pour les footballeurs, de prestation pour les créateurs et les artistes…) et y mettre fin de manière anticipée peut coûter une fortune.

Il faut donc adapter ses méthodes et son fonctionnement à ce contexte différent, et se positionner en partenaire de la star plus qu’en supérieur hiérarchique. L’idée est d’apporter aux talents les conditions pour qu’ils réussissent et que toute l’entreprise en profite. Ce faisant il ne pourra en plus pas reculer devant ses propres responsabilités et donnera le meilleur de lui-même, car une vraie star livre et ne peut accepter l’échec.

Mais la vraie complexité consiste à piloter de fait les deux pyramides en même temps.

En effet il y a dans chaque entreprise de ce genre à faire cohabiter des collaborateurs qui doivent être gérés de manière classique, et qui souvent le souhaitent, et des talents qu’il faut gérer individuellement.

Charge au patron de bien expliquer aux deux catégories pourquoi le management est différencié au bénéfice de tous, et donc de faire accepter une iniquité, voire une inégalité de traitement entre membres d’une même équipe.


Est-ce que tout cela signifie que le management hiérarchique et l’organisation classique de l’entreprise, c’est terminé ?!

Non il reste adapté à beaucoup de situations à mon sens, mais il ne doit plus être considéré comme l’alpha et l’omega du management.

Il est pertinent pour toutes les structures où la prestation doit être normée voire uniformisée, et il reste pertinent pour un pourcentage important de collaborateurs dont les fonctions ne nécessitent pas une prise en compte particulière au regard de la valeur ajoutée pour l’entreprise. Cela peut être considéré comme injuste par certains, en revanche nombreux sont les salariés qui souhaitent avoir un cadre managérial très bien défini, et ne se sentent à l’aise qu’avec des repères et des process serrés.


Comment identifier spécifiquement ces fameux talents, qui valent le coup d’être « traités différemment » dans l’entreprise ?

Chaque manager aura probablement une vision différente de qui sont ses talents en fonction de son propre jugement et analyse, voire de ses propres compétences.

Un manager peut considérer comme un talent son directeur qui compense son point faible. Par exemple le patron qui n’est pas de sensibilité techno ou commerciale va peut-être se sécuriser en starifiant son directeur IT ou commercial.

Dans tous les cas c’est toujours la difficulté à remplacer et le risque de perte de valeur ajoutée qui doivent être les clés objectives pour identifier les stars.


Et comment gérer les autres collaborateurs de l’entreprise ?

Il faut passer beaucoup de temps à leur expliquer ce qu’ils vivront comme une injustice, de l’inégalité ou de l’iniquité. Manager est un travail à plein temps qui nécessite écoute et dialogue.

Je crois à la clarté mais je déteste la transparence, tout ne doit pas être communiqué. En revanche expliquer clairement les bénéfices collectifs de ce traitement différencié, valoriser les autres collaborateurs pour leur apport dans ce contexte doit permettre de satisfaire chacun.

Normalement le collaborateur classique admet assez facilement que son apport est différent de celui de la star et qu’il n’est pas illogique que le manager cherche à obtenir le meilleur des deux mondes.


Auriez-vous un conseil à partager avec les jeunes (ou moins jeunes) managers d’aujourd’hui ?

Communiquer, dialoguer, s’intéresser à ses collaborateurs et identifier leurs vraies motivations. Bref passer du temps à comprendre ceux que vous dirigez et leur dire clairement les possibilités que vous aurez ou pas pour satisfaire leurs attentes. Il vaut mieux dire non, en expliquant pourquoi, que de laisser quelqu’un sans réponse. C’est une marque de respect, voire de courage, qui vous sera toujours créditée.

La vision de Christophe Chenut vous intrigue et vous parle ?… Lisez son dernier livre : « Ingérables, comment manager vos talents en entreprise ? » (Editions Bréal).

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