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Photo du rédacteurFrédérique Jeske

L’entreprise de demain sera responsabilisante, apprenante, protectrice de talents et en archipel !

Quelle sera l’entreprise du futur ?… Une entreprise responsabilisante et apprenante, une entreprise capable de recruter et fidéliser des talents, une entreprise capable de s’ouvrir à l’intelligence de l’autre et d’exploiter les talents de chacun de ses acteurs, une entreprise pluriculturelle et en archipel !

Découvrez la seconde partie de mon entretien passionnant avec Philippe Pierre, qui nous aide à nous poser les bonnes questions pour réinventer l’entreprise de demain…

Philippe, parlons management et organisation de l’entreprise… Certains dirigeants aujourd’hui expérimentent un renversement de la pyramide hiérarchique et « libèrent » leur entreprise… Que pensez-vous de ces initiatives ? Est-ce qu’à votre avis elle répondent à une attente des salariés ?

L’enjeu d’une libération des entreprises et des organisations se situe, à mes yeux, sur la responsabilisation du premier niveau d’encadrement.

C’est le niveau clé sur lequel accentuer les efforts de formation et de ressourcement. A cet égard, je préfère parler d’entreprise « responsabilisante » plutôt que « libérée » qui laisserait penser que l’on évacue les relations de pouvoir, de violence symbolique et de domination inhérent potentiellement à toute activité de travail vécue collectivement.

Qu’est-ce que le courage managérial pour vous ?

J’évoquerais deux « sorties de soi » nécessaire pour définir cette notion un peu particulière de « courage managérial ».

Sortir de la rivalité et de cette tentation permanente de se « poser en s’opposant ».

Des allégations de CALLICLES dans les Dialogues de PLATON à la reconnaissance par S. FREUD de Thanatos aux côtés de Eros, l’histoire des idées illustre le fait que l’agressivité est composante de la personne à part entière, activité ordinaire, menaçante, qui crée des émotions et des argumentations particulières. La sphère du travail n’y échappe pas bien sûr. L’univers m’est hostile parce que je ne suis pas tout l’univers, et « l’allergie surgit de la diversité » souligne à juste titre P. BRUCKNER (La tyrannie de la pénitence, Grasset, 2006, p. 278).

Sortir également du « tout se vaut » et assumer ce en quoi l’on croit pour que l’autre puisse le contester et vous aider à cheminer ensemble vers une co-construction.

Comment s’ouvrir à l’intelligence de l’autre ?

Le mot clé est, à mes yeux, celui de reconnaissance.

Dans son acception la plus courante, la reconnaissance est une action de repérage.

Ainsi, une patrouille va « reconnaître » le terrain avant d’engager le régiment. On reconnaîtra un diplôme au sens on l’on atteste qu’il répond aux critères admis par une autorité officielle. On peut donc reconnaître ou non des qualités, des compétences chez d’autres personnes.

Toutefois, ce niveau de reconnaissance ne nous dit pas grand-chose des personnes elles-mêmes. Reconnaître quelqu’un, c’est accepter que les valeurs qui fondent son identité, voire son existence ont autant d’importance pour lui que les nôtres en ont pour nous.

De façon plus ambitieuse, chercher à fonder un management interculturel, c’est prendre le risque pour des dirigeants de reconnaître que des étrangers s’intègrent mal dans leur organisation, que des personnels méritants sont injustement sanctionnés et victimes de violence ou de souffrances au travail.

C’est finalement aussi accepter de reconnaître des manques et des échecs dans une organisation.

Le discours qui prévaut aujourd’hui en entreprise prône plutôt l’inverse. Il nous présente et valorise des cadres tout-terrain, partout adaptables, heureux de vivre dans le changement et le mouvement perpétuel, dans un ordre social pacifié une fois pour toutes autour de valeurs ou cultures fortes des entreprises. En réalité, ce cadre mille-pattes n’existe pas et n’existera jamais !

C’est quoi un haut potentiel ? En quoi c’est différent d’un talent ? Lesquels sont les plus importants pour la réussite de l’entreprise ?

Les deux profils sont importants s’ils savent se compléter et apporter à l’ensemble des équipes mais en général, le haut-potentiel a la peau du talent !

Un haut potentiel, c’est quelqu’un qui ressemble au chef ! Qui fait sa carrière dans le viseur du chef et nous fait courir le risque du mimétisme ! Un talent est sur la radar et nous conduit à maitriser sans cesse son envie de trop forte différenciation, trop grande innovation. Un talent n’est pas sous les yeux et sous la main. Je dis souvent que la première qualité d’un talent est de faire, de réaliser, de délivrer sinon il restera un éternel potentiel !

Un talent est donc excellent (il fait très bien), différent et… généreux, c’est-à-dire qu’il transmet tours de mains et bonnes pratiques sans souci de l’organigramme formel. Il donne. Dès lors, vigilance car un talent renvoie un haut potentiel, dans la définition que j’en donne à son incompétence consciente !

Protégeons les talents car ils sont en général « mis à mort » dans une organisation, chasser ailleurs.

Cela invite le dirigeant à « se casser les os de la tête » c’est-à-dire revisiter ses catégories habituelles dans son rapport au temps parce que certaines jeunes générations n’apprennent plus pareil qu’autrefois, parce que le périmètre d’action de votre entreprise change et s’internationalise (vos fournisseurs, vos sous-traitants aussi…), parce que vos clients n’achètent plus pareil qu’hier et utilisent de plus en plus les écrans pour le faire, parce que l’image de marque est couplée à l’image employeur et donc à l’attractivité de votre entreprise, parce que vos équipes ont envie d’apprendre et de rester employables tout au long de leur vie professionnelle…

Parce que vous aussi, dirigeants, partenaires sociaux, employés, ouvriers, aides-soignantes, médecins, avocates, vous avez envie d’apprendre et de vous renouveler…

Lors de nos échanges précédents, vous m’avez parlé de l’entreprise apprenante. De quoi s’agit-il ?  

Une « entreprise apprenante » revient à se définir comme une organisation dirigée par des personnes qui ont décidé d’utiliser de façon systématique l’intelligence de tous les acteurs (employés, clients, fournisseurs, alliés…) pour rendre l’organisation de plus en plus efficace.

En ce sens, une « entreprise apprenante » est exploratrice et protectrice des talents.

Elle encourage le courage managérial. M. PEDLER, J. BURGOYNE & T. BOYDELL (The Learning Company. A Strategy for Sustainable Development, Mc Graw-Hill, 1997) ont pu ajouter des éléments que je crois utiles :

1,  La définition de la stratégie de l’entreprise s’appuie sur l’expérimentation, l’apprentissage et le « droit à l’erreur ». On ne se contente donc pas de sanctionner l’échec et les décisions prises qui s’écartent de celle du « chef »  ;

2, La prise de décision est basée sur une approche participative (« tout le monde porte un savoir dans l’organisation »). Mais on évite de solliciter sans cesse pour produire des idées que l’on mettra pas en œuvre. Mieux vaut une action simple déployée longtemps qu’une myriade d’initiatives renforçant les effets d’affichage  ;

3,  Le système d’information favorise la compréhension de la situation, la responsabilisation et l’initiative ;

4, Les procédures d’audits et la comptabilité renseignent sur les performances et permettent de comprendre les mécanismes économiques et financiers ;

5, Les échanges internes entre unités sont favorisés ;

6, La rémunération est flexible et récompense les performances dans le sens des valeurs et objectifs définis ;

7, Les informations sur le marché et l’environnement sont récoltées par les collaborateurs du « front » et transmises dans l’organisation. On y encourage la culture du feed-back ;

8, L’apprentissage se fait aussi par des échanges entre entreprises. On n’hésite pas à former ses équipes avec des entreprises de la même région, voire du même secteur d’activité ;

9, L’entreprise favorise un climat d’apprentissage et d’expérimentation. On encourage d’aller enseigner dans des écoles ou des universités pour saisir ce qui émerge et comprendre les attentes de jeunes et de moins jeunes ;

10, Chacun dispose dans l’entreprise de possibilités d’auto-développement qui ne résument pas à des stages de formation.

Si nous sommes progressivement en train de nous transformer en « homo numeris » (MOOC, outils numériques, réalité augmentée…), ces formations en « distanciel » ne font pas l’économie de la rencontre régulière les yeux dans les yeux, en « vrai » !

En quelques, mots l’entreprise du futur sera… ?

De plus en plus en « archipel ».

Pour plusieurs raisons. Des raisons géo-politiques d’abord, puisque l’évolution des rapports de production depuis un demi-siècle a libéré un espace nouveau d’interprétation de phénomènes culturels liant réalités présentielles et distancielles : importance des télécommunications à distance au quotidien pour un nombre grandissant de personnes, travail dans plusieurs langues, carrières dans plusieurs entreprises elles-mêmes soumises à des fusions, acquisitions, joint-ventures, accroissement des mobilités géographiques, notamment Sud-Sud, influence croissante des diasporas…

Et également des raisons qui touchent à l’évolution du sens dans nos sociétés occidentales et même à la centralité du travail de nos vies.

C’est un cinquantenaire qui vous le dit et qui a toujours placé le travail et la famille au centre de ses préoccupations.

Les temps changent pour une partie de mes contemporains qui ont plusieurs vies à vivre « en même temps ».

Le travail et le temps du travail ne sont plus au centre. Ils forment un ilot d’un ensemble plus vaste. La notion « d’archipel » prend au sérieux ces réalités et ce passage du « centre » à des « centres », de la pyramide hiérarchique au réseau, et au réseau de réseau.

L’archipel renvoie pour nous au passage d’une société pyramidale vers une remise en cause des figures d’autorité du haut vers le bas (dans l’Armée, l’École, l’Église…) et, au final, la mise en interrogation de toute idée de centre unifié et perçu comme légitime par le plus grand nombre.

La déconstruction de la figuration en peinture, de la tonalité en musique, de la chronologie dans l’art romanesque et théâtral sont autant de signes invitant à mieux comprendre cette remise en cause de tout ordonnancement séquentiel linéaire, de tout centre hiérarchique sous l’effet de l’applatissement apparent des structures d’ordre.

Dans cette perspective, les frontières mêmes de l’entreprise évoluent !

Les écarts se creusent et cela est préoccupant. Tandis que certains subissent la précarité d’un bassin d’emploi défavorable, ont des emplois par intermittence et le subissent durement, d’autres jeunes ou moins jeunes demandent de travailler lundi et mardi dans « notre boite », s’y impliquent à fond ces deux jours-là, le mercredi ils pratiquent la sculpture et en font commerce sonnant et trébuchant sur la Toile, le jeudi et le vendredi, ils distribuent des repas dans une association et le reste de la semaine, ils se reposent, écrivent ou font du sport.

Souvent, l’entreprise qui les emploie le lundi et le mardi est vue comme un terrain d’acquisition de compétences pour son propre projet de mobilité, d’employabilité.

Il faut comprendre que les innovateurs sont souvent stimulés par la perspective de trouver l’idée qui fera leur propre succès et leur permettra de créer leur propre structure. A nous de nous y associer !

Ainsi que l’a souligné le sociologue A. HONNETH, la confiance dans la sphère des relations affectives, la croyance d’une valeur unique avec le sentiment amoureux, la recherche du respect dans la sphère politico-économique, la recherche de l’estime à laquelle chacun peut prétendre de par sa contribution à la sphère productive…correspondent à des attentes de reconnaissance qui ne sont que « rarement en correspondance » (A. HONNETH, La lutte pour la reconnaissance, Les Editions du Cerf, 2000, p. 208).

N’oublions pas qu’un nombre grandissant de nos jeunes sont nés ou vont grandir dans des familles autres que nucléaires (une maman – un papa) et que se pose la question de la pluralité des pôles d’autorité légitimes pour ceux qui ont plusieurs Noëls à fêter !

Ce qu’il faut redouter, à chaque époque de notre histoire, c’est la réinvention de « l’inassimilabilité » de groupes minoritaires : aujourd’hui autour de la religion ou de l’ethnicité, hier autour des mœurs, des races ou des nations (pensons Italiens, Polonais avant la seconde guerre mondiale…).

Comme aimait à l’exprimer un fameux ethnologue, l’important est souvent moins d’ouvrir les autres à sa manière de voir que de s’ouvrir aux bonnes raisons des autres !

Retrouvez Philippe Pierre :

Découvrez les convictions de Philippe Pierre en matière de management de la diversité :


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